“Etat” et savoir en Tunisie de Ibn Khaldûn aux réformateurs du XIXe siècle
Abdelhamid Henia
Résumé :
De nos jours, les études historiques en langue arabe ont tendance à utiliser le mot « al-dawla », dans le sens de “Etat” dans la langue française ou de “State” dans la langue anglaise, pour qualifier toutes constructions politiques centralisées à n’importe quelle époque de l’histoire, comme si les constructions étatiques et le mot “al-dawla” employé pour les désigner étaient présentes à toutes les époques historiques. Les expressions “al-dawla” en arabe et “Etat” en français connaissent donc, dans les écrits historiographiques portant sur le monde arabo-musulman, des usages, le moins que l’on puisse dire, confus et avec des amalgames certains. Ainsi, on tente de préciser l’obscur par le plus obscur, le vague par le plus vague. On ne peut réellement résoudre ces problèmes d’ordre épistémologique qu’à condition de prendre congé de certaines illusions historiographiques. La première de ces illusions, et sans doute la plus handicapante, est l’interprétation téléologique qui porte à présenter “al-dawla” comme phénomène omniprésent dans l’histoire. D’où la nécessité d’historiciser cette notion.
L’on sait, par ailleurs, qu’Ibn Khaldûn est le premier à avoir conceptualisé au XIVe siècle la notion d’”al-dawla”, et que les réformateurs politiques du XIXe siècle en ont consacré l’usage une fois pour toutes. L’objectif de la présente recherche en cours est principalement de faire la généalogie des usages de l’expression arabe “al-dawla” d’Ibn Khaldûn jusqu’aux réformateurs du XIXe siècle. Chemin courant, nous faisons l’archéologie des différents usages des mots employés pour dire l’Etat. Quels sont ces mots qui ont balisé les savoirs sur la construction étatique en Tunisie entre le XIVe et le XIXe siècles ? Comment et par qui se construisaient-ils ces savoirs ? Quelles en sont les significations ?
Afin de répondre à ces questions, nous tenterons de penser les registres langagiers dans le cadre desquels les savoirs sur l’Etat se sont déployés, et les significations des débats entretenus par les acteurs sociaux sur les mots employés pour qualifier les différents moments de la construction étatique en Tunisie.